Monsieur le directeur académique,

Les représentants issus des organisations syndicales élues en comité social administratif départemental du Gers joignent aujourd’hui leurs voix pour exprimer leur profonde désapprobation de la politique menée par le gouvernement, et plus particulièrement par leur ministère.
Depuis l’annonce, le 10 janvier dernier, de la Première Ministre sur le projet de réforme des retraites, nos organisations syndicales montrent une unité qui ne fait que se renforcer, tant dans les revendications que dans l’action. Le 19 janvier, près de 6000 salariés et fonctionnaires se sont mobilisés à Auch à l’appel de nos organisations syndicales ; nous étions plus de 10000 deux mois plus tard, le 7 mars à la sixième journée nationale de mobilisation. Du jamais vu de mémoire de militant-e gersois-e. De même, un tel front syndical ne s’était pas réalisé depuis de nombreuses années, preuve s’il en fallait encore du rejet unanime et complet de cette réforme. Alors que, dans notre profession, l’âge de départ à la retraite moyen est déjà de 62 ans et 10 mois, aucun d’entre nous ne conçoit la perspective d’augmenter de deux ans le temps travaillé au cours de sa vie. Nos métiers, à l’instar de tant d’autres, sont éprouvants, tant physiquement que mentalement. Aujourd’hui, 1 enseignant sur 4 déclare souffrir de TMS, ces maladies multifactorielles qui découlent de l’exercice de notre métier, elles correspondent à de nombreuses pathologies chroniques touchant les muscles, les tendons et les nerfs. L’enquête commandée en 2016 par la Division des études du Ministère de l’Education Nationale indique que l’indice global d’exposition aux facteurs de RPS montre que les enseignant.es ont une exposition moyenne significativement plus élevée que les autres populations, surtout dans le premier degré. L’intensité et la complexité du travail, un manque criant de moyens humains et matériels, mais aussi, pointe l’enquête, un manque de soutien de la hiérarchie, font aujourd’hui que 15% d’entre nous est en situation d’épuisement professionnel, et 7% souffre de syndromes dépressifs chroniques. Les personnels de l’Education nationale parviennent tant bien que mal, et portés par leur professionnalisme, à minorer l’impact de la dégradation de leur état de santé en recourant au temps partiel, au départ en retraite anticipé ou, pour les cas les plus extrêmes, à la démission. Cette situation est profondément inacceptable, puisque ce sont les employés qui finissent par supporter seuls les conséquences d’une négligence imputable à leur employeur, qui persiste à refuser de mener un travail d’étude, de prévention et de prise en charge plus systématique.

Au-delà du caractère moralement inique de cette contre-réforme et de l’inefficacité constatée en Europe de telles mesures pour maintenir l’équilibre du financement des retraites, elles vont au contraire l’aggraver, en mettant davantage de personnes au chômage, et en maintenant plus longtemps les jeunes dans le précariat, diminuant d’autant les cotisations sociales, et ainsi les recettes des caisses de retraite. Alors que l’espérance de vie cesse d’augmenter, que l’espérance de vie en bonne santé diminue, et que la population est très largement opposée à cette réforme, quel dogmatisme conduit gouvernement et élus à poursuivre dans une telle voie ? Notre mobilisation unitaire et massive traduit la dégradation continue du Service Publique d’Education Nationale, mais aussi du contrat social qui maintenait l’équilibre de notre société : manque de personnels, manque de moyens, conditions de travail insupportables, conditions de vie déplorables, rémunérations trop basses des personnels enseignants et non enseignants – au premier rang desquels les AESH, rémunéré.es sous le seuil de pauvreté – inflation, simulacre de dialogue social  et passage en force des lois avec l’incontournable et autoritaire arme du 49-3 et de ses déclinaisons, l’article 47.1 et 44.3 de la constitution de 1958, démolissant l’œuvre législative nécessaire à la démocratie parlementaire.

Mais la souffrance « au travail » n’est pas l’apanage des adultes. Nos élèves vont mal. Les causes sont multiples, mais l’effet cumulatif des difficultés ne leur permet plus de prendre de la distance face à leur mal-être, et un ensemble de mesures récentes attestent de la gravité des faits. Dans L’Education Nationale le manque de personnel pédo-psychiatrique et infirmier ne permet plus de faire face aux besoins. Entre 2016 et 2022, en Occitanie, le passage aux urgences pour idées suicidaires a augmenté de 60%. Parmi ses jeunes en souffrance, deux tiers sont des filles. Dans la région en 2021, un jeune sur cinq se déclare en difficulté scolaire et d’apprentissage. Dans le Gers, entre 2019 et 2022, les informations préoccupantes pour des mineurs en dangers, ont augmenté de 56%, aboutissant à une augmentation de 40% des placements en foyer ou en famille d’accueil. De même, 50% des conseils de discipline en 2022 concernent des élèves avec des notifications MDPH, insuffisamment ou non pris en charge. Le ministère de l’Education Nationale, à chaque échelon territorial, a sa part de responsabilité à prendre dans le drame qui se joue parmi la jeunesse. Le manque de moyens affectés aux personnels des services santé-sociaux de l’Éducation n’est plus tenable. Leurs tâches sont indispensables. Pourtant, la taille de leurs secteurs d’intervention, la pluralité des acteurs auprès desquels ils doivent intervenir, la variété des situations auxquelles ils doivent faire face, rend leur travail homérique au regard de leur faible nombre. On ne dénombre que 6,5 ETP d’Assistants sociaux sur le département, et à peine plus d’infirmiers-ères scolaires. Il n’est pas normal qu’un établissement, composé de centaines de jeunes tout au long de la journée, soit dépourvu à un moment donné de son personnel médico-social. Nos élèves sont donc plus vulnérables, plus en danger, plus exclus du système scolaire, et dans le même temps moins pris en charge. Nous en sommes les premiers témoins, nous n’en serons pas les complices en laissant se dégrader davantage les conditions d’enseignement, d’accueil et de soutien des élèves.

Ce n’est pas l’orientation de notre ministère pour l’année qui vient. Partout en France, la rentrée 2023 sera particulièrement difficile : 667 postes en moins dans le premier degré, 481 dans le second degré. C’est au total 1148 postes qui seront supprimés. Dans le Gers, l’équivalent de 11 emplois temps plein dans le 2nd degré seront récupérés par le ministère à la prochaine rentrée. 4 postes dans le 1er degré ont déjà été supprimés, entrainant la fermeture de 3 classes. Nous assistons à une détérioration programmée de l’enseignement en milieu rural, déjà pauvre en offre de formation et en transports permettant la mobilité des élèves. Mais cela n’empêche pas le Ministère de déterrer son projet de Service National Universel, tellement loin des aspirations de la jeunesse et de ses enseignants. L’obligation pour les jeunes de seconde et de première CAP est prévue dans un premier temps dans 6 départements puis sur tout le territoire les années suivantes. Le séjour de cohésion, d’une durée de 12 jours, aura lieu sur le temps scolaire en seconde, complété par une « phase d’engagement » peu définie de 3 ans dans laquelle on trouve la volonté d’intégrer davantage de jeunes dans le dispositif « service civique », qui constitue déjà une forme de précarisation des jeunes travailleurs que nous rejetons. Ce projet aux teintes militaires sera réalisé pour un coût démesuré. Lorsqu’une année de scolarisation d’un·e élève coûte 8400€, le SNU en coûterait environ 4000 pour 12 jours. Avec 2 milliards de budget, pris sur celui de l’Education Nationale c’est 28 000 enseignant·es, personnels de vie scolaire, personnels accompagnant d’élève en situation de handicap, infirmiers et médecins scolaire, assistants sociaux, supplémentaires qui pourraient être recruté·es ! Loin de notre œuvre éducative et émancipatrice, nous rejetons le caractère militaire imposé du séjour de cohésion se traduisant notamment par des rites et activités directement inspirés de l’univers guerrier tels que le port de l’uniforme, les levées de drapeau, le chant journalier de la Marseillaise, les parcours du/de la combattant·e, les repas à base de rations militaires, les « compagnies » et leur « capitaine de compagnie »… L’engagement des jeunes, qu’il soit associatif, syndical ou militaire, doit se faire sur la base du libre-choix, fondé sur la possibilité de décider, de délibérer et aussi de refuser.

De plus, nous dénonçons la décision brutale et improvisée, à nouveau par voie de presse, de la suppression de la technologie en classe de 6ème. Celle-ci répond à une logique comptable de ressources humaines et non à la réalité des besoins de formation des adultes de demain aux nouvelles technologies. S’il est si difficile de recruter des enseignant·es de technologie, il faut revoir l’attractivité du métier en augmentant les salaires et en considérant les enseignant·es comme des êtres humains et non comme des pions déplaçables de services en services selon le bon vouloir de l’administration. La violence de cette décision montre, s’il en était encore besoin, le mépris du ministère pour ses enseignant·es qui se retrouvent pour beaucoup dans des situations très difficiles. Pour couronner le tout, cette décision se réalise encore dans un cadre légal très discutable, puisque le texte d’application devait être rédigé lors du Conseil Supérieur de l’Éducation du 9 mars et que de nombreux collègues ont d’ores et déjà été sommés de signer leurs notifications de compléments de service.

Enfin, face à l’absence complète d’échanges sur le sujet et aux contradictions des propos du ministre, les organisations syndicales ont désormais toutes quitté les négociations sur le Pacte. Alors que la question salariale est primordiale pour tous les personnels, qui font face à une flambée inflationniste, Pap Ndiaye et le gouvernement renient sans surprise l’engagement présidentiel d’une augmentation générale de 10% pour tous les personnels qui aurait dû avoir lieu en janvier 2023. Au contraire, les pistes de revalorisation salariale du ministre entérinent la sinistre formule du travailler plus pour gagner plus. Les propositions Socle sont très insuffisantes et privilégient l’indemnitaire au détriment de l’indiciaire. Celles pour le Pacte vont accentuer la concurrence entre les personnels ainsi que les inégalités Femmes-Hommes. Comble du mépris venant de notre employeur, toutes ses propositions reposent sur le préjugé que les personnels ne travailleraient pas assez, alors que le temps moyen hebdomadaire de travail des enseignants est déjà de 42h, et que nous réalisons plus de 30 jours de travail pendant les congés. Il n’entend pas non plus le fait que les missions supplémentaires et la rémunération indemnitaire accentuent les inégalités femmes hommes, ces derniers étant plus disponibles pour les accepter, du fait du partage inégal du travail domestique. Enfin, les primes ne sont ni pérennes ni comptabilisées pour la retraite et non indexées sur l’inflation. Quant à la revalorisation socle, tant vantée par le ministre sur tous les médias, elle se baserait sur les salaires de 2020, intégrerait les primes déjà existantes, ainsi que la hausse de 3,5% du point d’indice en juillet dernier.

Il y a une véritable nécessité à un plan d’urgence pour l’Ecole qui ne soit pas guidé par les seules questions comptables. Il faut revaloriser les métiers, permettre la mise en place des meilleures conditions de travail pour les personnels et les élèves sans inféoder systématiquement les Services Publics aux besoins de l’économie. Nous revenons ici à la question initiale de la retraite et du travail. Les besoins de l’économie ne peuvent guider tous les choix de société. C’est le rôle du politique (dans son acceptation large de vie de la cité) qui est interrogé ici. Faire des choix pour une société démocratique, garantissant l’égalité réelle implique de prendre une autre orientation. Nos organisations syndicales, unies dans l’intérêt de tous les personnels et des élèves, continueront de porter ces revendications pour une école et une société émancipatrice.